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Se passer du sacrosaint test de VMA par PE

Apprendre à gérer sa course en EPS en se passant des « sacrosaints » tests de VMA

 

Les tests de VMA et leurs problèmes…

Quel enseignant d’EPS n’a pas abordé un cycle de course, en milieu scolaire en partant d’un test de VMA ? Rassurant, mais pas « sans souci ». On a tous été confrontés à ces multiples problèmes inhérents au choix du test, à la forte hétérogénéité des capacités physiques des élèves (certains sont exténués au bout de 400m…), au comportement « calculateur » ou « stratégique » de certains (on s’arrête avant l’épuisement afin d’accroître sa marge de progrès possible…), au moment de la journée où se déroule le test (après le repas, en fin de journée…), aux conditions climatiques (sous la pluie, beaucoup de vent…), à la fiabilité d’une évaluation unique (faut consacrer une ou deux séances pour mieux réaliser le test ?), etc. Il faut ajouter à cela la difficulté de nombreux élèves, notamment au Collège, à comprendre l’utilité de cette démarche. En effet, celle-ci les conduit finalement à être obligés de courir selon des normes de performance qui n’ont pas toujours de sens pour eux, et non pas en fonction de leurs sensations d’effort, de confort respiratoire, de bien-être… En d’autres termes, ils courent non pas comme ils « le sentent », mais selon un rythme permettant de ne pas contrarier le professeur d’éducation physique et de se conformer à ses attentes, dont ils n’accèdent généralement pas à la rationalité scientifique ».

Insatisfaction et proposition alternative

Insatisfait de cette procédure, il fallait impérativement changer de démarche et celle que nous proposons est bien différente. Il s’agit de prendre le problème « à l’envers » par rapport à la procédure classique. En résumé nous choisissons de partir de l’élève, de l’apprenant, et de la façon dont il fait l’expérience de sa course, et de lui proposer d’apprendre à gérer sa course par la découverte dans un premier temps de ses propres rythmes de course.

Justification théorique : le rôle de nos capacités adaptatives « inconscientes »

Des mécanismes inconscients régissent la plupart de nos comportements usuels, ceux qui mettent en jeu des coordinations spontanées et des fréquences de mouvement habituels comme c’est le cas dans nos modes quotidiens de locomotion (marche et course). Comme je le dis souvent à mes élèves de façon délibérément simplificatrice : « votre cerveau est nettement plus compétitif que vous, alors laissez le faire ! Il n’y a rien de tel que de vouloir pour échouer ! ». Laisser faire son cerveau, c’est ce que l’on fait quand on marche naturellement, en pensant éventuellement à de nombreuses autres choses, en admirant un paysage, etc. Il est impensable d’imaginer une planification et un contrôle constants de cet acte moteur. Et, il en est de même pour le rythme de course que nous adoptons et que nous entretenons spontanément, selon les situations où nous nous trouvons (la distance à parcourir, la pente du terrain, les conditions météorologiques, les interactions avec autrui, etc.).

Illustrons cela très simplement : imaginez-vous entre amis lors d’une ballade récréative après un bon repas, vous allez vous mettre à l’unisson du groupe et pouvoir prolonger vos discussions sans problème de respiration et de fatigue. Puis vous décidez de passer devant avec un ami pour parler de sujets qui vous préoccupent. Vous adoptez alors un rythme plus rapide, qui vous convient mieux, à condition que votre partenaire soit physiquement de votre niveau, et, vous conversez toujours sans essoufflement. Puis, le ciel s’assombrit et vous constatez que vous êtes un peu trop éloignés du point de départ, alors vous décidez de rentrer plus rapidement. Votre rythme devient soutenu, régulier mais il n’est plus question de parler sauf pour alimenter encore un peu la discussion, mais en préférant poser les questions plutôt que d’y répondre. Soudain il se met à pleuvoir, vous ne pouvez échapper à une averse sauf si vous accélérez. Votre marche devient alors très rapide, tendue et sa coordination devient plus instable (le marcheur « oscille » entre une coordination de marche et une coordination de course).

Afin de répondre à de simples intentions, à ces différents moments, le cerveau s’est rapidement et efficacement adapté aux rythmes à prendre, sans que nous y ayons vraiment réfléchi et plus précisément, sans que nous n’ayons eu à élaborer de « stratégie » consciente, ou à prendre de décision coûteuse d’un point de vue cognitif. Dans cet exemple on peut différencier ces différents rythmes de marche comme correspondant respectivement à un rythme de récupération pour le premier (dans le cas présent, récupération digestive), à un rythme d’endurance pour le deuxième, à un rythme de seuil ventilatoire pour le troisième, et à un rythme d’allure spécifique pour le quatrième. Tous ces rythmes de marche sont adoptés en fonction de la capacité physique du marcheur.

On observe les mêmes plages d’effort en course à pied. La course de récupération offre une sensation de très léger à léger effort. Dans une course d’endurance, l’effort reste modéré et permet de parler sans difficulté. Dans une course à un rythme de seuil ventilatoire, une lente élévation de lactates se fait sentir et le coureur commence à percevoir son effort comme modéré à difficile. Enfin, dans une course à un rythme plus élevé, le phénomène d’acidification progresse fortement, rendant le maintien de l’effort difficile à très difficile. A ces différents rythmes on peut faire correspondre un pourcentage de la VMA du coureur. En effet, on peut attribuer à la récupération un pourcentage de 60 à 72% de la VMA, de 72 à 81% pour l’endurance active, de 82 à 87% pour le seuil et 88 à 120% pour des allures spécifiques allant du 1500m au sprint. L’ensemble regroupant ces différents rythmes est, ce que nous nommons, l’amplitude de course, qui peut aller chez certains coureurs de 7 à 44Km/h.

Implications sur le terrain

C’est cette quête de l’amplitude de course par les élèves qui va constituer notre point de départ. Pour faciliter cette recherche, nous proposons dans nos cycles une série de petites courses où nous chercherons à susciter chez l’élève la découverte de rythmes qu’il adopte « spontanément », ou « inconsciemment » (sans délibération réflexive). Alterner des durées longues, courtes, des moments de récupération active, d’autres d’intensité plus élevées, constituera la base de sensations, que les élèves devront identifier, à l’aide de repères externes puis internes, et traduire en rythmes de courses exprimés en Km/h. Par essais erreurs les élèves sont amenés à chercher à être de plus en plus précis mais aussi, à tenir compte des variables qui peuvent affecter leur rendement (pente, vent, dureté ou malléabilité du sol, etc.). C’est ainsi qu’un rythme de course doit être formulé sous forme de fourchettes de vitesses proches. En conclusion, il proposera une amplitude de course qui devra correspondre à une succession réaliste et logique de ses différents rythmes (vitesses croissantes entre 60% (vitesse de récupération) de leur VMA et 120% (vitesse allures spécifiques).

Notre première exigence est de fixer une allure minimale de 7 Km/h. En effet, si nous désirons rester dans une activité de course, nous devons respecter ce seuil, qui est la limite théorique où il devient plus économique physiologiquement de courir plutôt que de marcher. Cela implique que quand nous parlerons de course de récupération, le coureur ne devra pas être en dessous de ce seuil. Si l’élève travaille sérieusement, les chiffres annoncés correspondront à une amplitude cohérente, c’est-à-dire, que la récupération, l’endurance, le seuil et les allures spécifiques feront partie d’une progression allant de 60% à 120%. Précisons qu’en milieu scolaire nous avons surtout besoin des trois premiers rythmes.

Notre deuxième exigence, quel que soit le type d’épreuve à affronter, est d’imposer préalablement l’annonce des rythmes qui vont se succéder durant l’épreuve. Peu importe l’ordre dans lesquels ils sont programmés, cela dépend de la stratégie de l’élève. Mais attention, nous ne demandons pas des chiffres, mais simplement une planification de course, tour par tour, avec comme simples informations : je suis à tel moment, en récupération, en endurance, au seuil ou sur des allures spécifiques. Les vitesses relevées à chaque tour, lors du contrôle, devront coïncider avec des allures correspondant à des rythmes différents mais appartenant à la même amplitude de course. Et ce sont elles qui vont révéler le projet et la maîtrise de l’activité. Bien entendu on peut autoriser un ou deux jokers pour ne pas anéantir tout un projet, mais c’est la lecture de l’action qui doit rester le seul juge. On peut même imaginer un contrôle ou l’élève n’annonce pas de projet et ce ne serait qu’en lisant son relevé de course qu’on pourrait lui dire qu’il maîtrise où non sa programmation de course. Il suffit de surligner les temps qui avoisinent la même vitesse, et de repérer si d’une part on est en présence de trois rythmes différents et d’autre part si ces rythmes appartiennent à la même amplitude de course.

Indicateurs importants pour l’enseignant

Bien évidement cette démarche ne garantit pas de décourager totalement les éventuels comportements « calculateurs » ou « stratégiques » de certains élèves, proposant une amplitude farfelue où en deçà de ses possibilités. Mais différents indicateurs peuvent nous renseigner sur ces « erreurs » d’annonces des élèves :

  • L’indicateur du rythme respiratoire est notamment particulièrement fiable. Lorsque l’on observe qu’un élève est à la rupture d’une respiration cadencée et régulière, cela prouve qu’il n’est plus dans une situation d’endurance, et encore moins dans une situation de récupération.
  • L’indicateur théorique est indiscutable car nous pouvons confronter une amplitude déclarée avec la totalité des amplitudes, possibles, calculées théoriquement et repérer des incohérences. Imaginons qu’un élève annonce un rythme d’endurance active de 9.5 à 10.8 Km/h. Ce dernier ne pourra donner un rythme de seuil supérieur à 12,15 Km/h.
  • L’indicateur lié au critère de la faisabilité reste l’indicateur essentiel à prendre en compte. Courir régulièrement à un rythme qui n’est pas le sien est difficile à tenir par l’élève, parce qu’il requiert un contrôle conscient ou contre-nature de la course. Il n’y a donc aucun intérêt pour l’élève à viser des amplitudes qui ne correspondent pas à ses possibilités, ou capacités physiques.
  • L’indicateur de course « improvisée » ne peut donc trouver sa place dans ce dispositif. Si le premier tour est annoncé comme tour de récupération, et que le chrono révèle une vitesse de 11 Km/h, tout le reste doit suivre proportionnellement, soit une endurance de 11.2 à 12.8 Km/h et un seuil de 13.5 à 14.5Km/h. L’épuisement serait dans ce cas inévitable.
  • L’indicateur de régularité est impératif si l’on veut valider son rythme. Les temps relevés doivent rester dans une fourchette de vitesse pendant toute l’épreuve. On ne peut pas prétendre être toujours au seuil en courant 3 tours à 14Km/h puis trois autres à 17Km/h. Il faut donc pouvoir répéter sans variations un même rythme sur plusieurs tours.
  • Conclusion
  • En résumé, notre méthode d’enseignement consiste à conduire l’élève à repérer une conduite « spontanée » (ou « inconsciente »), à l’identifier, puis à l’exploiter pour planifier au mieux une prestation physique. Dans une telle démarche, le test de VMA devient obsolète, sauf pour ceux qui voudraient vérifier l’authenticité théorique des pourcentages proposés. Il apparait même comme une contrainte obligeant l’élève à adopter une amplitude de course, qu’il n’a même pas pu tester, ressentir et « approuver » en relation avec son vécu, ses sensations physiques, la perception de son confort ou inconfort respiratoire, etc. Nous devons donc nous méfier d’une transposition trop systématique d’outils très usités dans le milieu de l’entraînement et de l’optimisation des performances sportives, sous prétexte de précision ou de rationalité « scientifique ». L’éducation physique qui n’a les mêmes objectifs, et même si le « savoir s’entraîner » peut et doit s’enseigner en EPS, il nous revient d’inventer des procédures innovantes mieux adaptées au contexte éducatif et à ses finalités.

Cette démarche vise à focaliser les élèves sur leurs propres expériences corporelles, et à leur permettre d’identifier progressivement leurs propres « régimes typiques de course » (donc à construire des « expériences-types de course »). A ce titre, elle nous semble garantir de plus grandes chances de contribuer à l’autonomie des élèves – et donc à une gestion adaptée de leurs efforts en course dans d’autres situations de leur vie – qu’une démarche plaçant au premier plan des repères « externes » issus d’une démarche abstraite de calcul des différentes vitesses à partir de la mesure de la VMA. Par ailleurs, elle est propice à l’établissement d’une relation entre l’enseignant et les élèves fondée, du point de vue de l’enseignant, sur l’adoption d’une attitude empathique, visant à comprendre ce que « vivent » et « éprouvent » les élèves, et du point de vue des élèves, sur le développement d’une sensibilité à leurs capacités adaptatives spontanées et à leurs possibilités physiques, afin de s’approprier cette expérience corporelle.

Ph Estrabaud (2015)

illustration course cp5 en 2de par PE

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